Entretien « Les Grimmades »
Entretien avec Florence Toussan pour la revue « PROXIMITÉS, arts et littératures » éditée par l’Atelier IMIS
L’approche créative de ce duo se caractérise par un monde imaginaire, poétique, graphique avec un univers très coloré.
Avec la série d’illustration « Les Grimmades », qui débute par la lecture de contes des frères Grimm 1, Marino et Chrisco écrèment de ces contes la substance pour créer des illustrations avec des personnages zoomorphes ou dans un état de métamorphose où l’être humain peut devenir animal ou végétal.
Ils transposent certains de leurs personnages en volume avec notamment des masques en papier mâché qui permettent d’opérer la mue des personnages où l’on peut à son tour se dissimuler pour en quelque sorte leur donner vie. Avec la mise en scène photographique de ces masques, une espèce de boucle s’opère pour s’échapper dans une atmosphère onirique.
L’originalité de votre travail réside dans le duo.
Comment fonctionnez-vous ?
L’idée démarre à deux, par une discussion autour de l’image et après le travail se répartit. Je suis « les mains », c’est moi qui dessine, Chrisco récupère le dessin et c’est lui qui fait le travail de graphisme, la vectorisation, la mise en page, la mise en couleurs… Néanmoins, à chaque étape, il y a discussion sur le dessin, le choix des couleurs, c’est vraiment une réalisation à quatre mains.
La démarche artistique part d’un choix de sujet, comme les contes de Grimm qui ne sont pas forcément faciles d’accès dans leur forme originale.
Je me suis toujours intéressée au conte, j’ai relu par hasard « Frérot et Sœurette » qui m’a inspiré un dessin. C’est l’idée de la métamorphose que j’ai eu envie d’aborder par le dessin. J’ai demandé son avis à Chrisco et à partir de là, il a eu envie que l’on travaille ensemble. J’ai lu deux recueils de contes et j’ai sélectionné les textes qui traitaient de la métamorphose, on a discuté chaque texte pour faire surgir l’image à partir soit d’un mot, soit d’une phrase, un choix qui nous entraîne vers un processus très personnel quitte à s’éloigner du conte. C’est une forme de synthèse intuitive de l’histoire. Par exemple, la bague se retrouve à la patte de la corneille dans une forme d’ellipse.
Dans la série « Les Grimmades », on sent un contraste entre une forme graphique très élaborée et une forme de fraîcheur dans la façon dont le sujet est traité. Néanmoins, on est dans un univers qui touche autant les adultes que les enfants et qui s’exprime dans une dimension onirique, est-ce que cela a déterminé votre identité graphique ?
L’identité graphique n’a pas été déterminée par la série « Les Grimmades », c’était déjà l’écriture stylistique de Marino. Quand à l’univers onirique, il nous permet de créer des personnages ou des animaux avec des caractères irréels, étranges ou improbables. Dans nos différentes séries, on retrouve des récurrences : le masque, la métamorphose et le monstre gentil…
On reconnaît un dessin de Marino et Chrisco. Il y a un style et une intensité dans les couleurs qui se retrouvent dans toutes vos séries. Est-ce que cette continuité est liée au travail à quatre mains ?
On a su trouver un terrain commun, et développer un univers qui est celui du duo Marino et Chrisco. Il y a toujours un ou des personnages, avec cette mixité hybride, homme-animal, animal-animal, végétaux… Et autour, l’absence de décor (fond blanc pour « Les Grimmades », fond coloré pour les « filles et les garçons ») qui est vraiment une décision de notre part. Les motifs sont très présents par la répétition ou l’alternance de lignes, de formes ou de couleurs dans des zones délimitées. Ils sont souvent la base de décoration pour les tissus, plumage… Le dernier aspect est la couleur qui est intense, lumineuse, et travaillée dans la globalité.
Effectivement la couleur est très présente, elle accroche le regard, pouvez-vous nous dire comment vous la déterminez pour chaque illustration ?
C’est la partie de Chrisco qui expérimente à partir des dessins. Il se donne la liberté d’une recherche graphique, pour « Les Grimmades », il joue sur un décalage comme des couches en sérigraphie successives, pour la série des « filles », ou pour « chassé-masqué », la suppression des contours donne une identité reconnaissable à l’ensemble des séries. L’idée c’est de fermer toutes les formes à l’intérieur pour supprimer les contours de façon à ce que le fond révèle le dessin. Cela influence forcément ma façon de penser le dessin, mes motifs ne doivent pas toucher le contour. Chrisco marie les couleurs à partir du fond foncé pour que les vibrations optiques disparaissent tout en gérant les contraintes techniques d’impression en les mettant au service du dessin. Cela renforce les couleurs et donne de la densité. Traitées en aplat, les couleurs sont des masses qui interfèrent.
Quand on regarde vos illustrations, les couleurs paraissent évidentes et il y a une originalité dans l’harmonie globale. Comment faites-vous ce choix ?
Ce choix part de plusieurs propositions de Chrisco, chacune avec une harmonie différente. À partir de là, on en supprime une à tour de rôle jusqu’à celle qui remporte notre adhésion à tous les deux.
Un autre aspect de votre travail passe par vos « volumes », sculptures et masques, dont certains sont mis en scène et photographiés. Comment passez-vous de l’un à l’autre ?
L’idée, c’est de donner vie à nos personnages. Par exemple, le « combat » réalisé en volume donne l’impression de sortir du dessin. On a voulu faire ressentir la dualité de façon plus réaliste comme si les deux personnages s’affrontaient sur un ring. Pour les masques, nous accentuons la mise en scène, la recherche du lieu, le choix du costume, l’attitude que je prends, tout est pensé pour créer un univers onirique, poétique, sensible, très proche du nôtre. Les masques mis en situation nous permettent de rejouer l’idée de la métamorphose qui nous a interpellés dans les contes de Grimm.
1 Contes pour les enfants et la maison des frères Grimm aux Éditions Corti
2 La série « Chassé Masqué » sera en partie exposée à la Médiathèque de Ruelle-sur-Touvre en novembre 2018.